lundi 30 juin 2014

1er Prix du Concours de nouvelles Mine de polars 2014 : Tragique virée de Geoffrey Bulan


Tragique virée.

"C'était la nuit. Il y eut un bruit sec. Puis un cri. Suivi d'un autre, et encore d'un autre…. Comme un chant de haine. Ils cessèrent d'un coup. Le silence s'installa à nouveau dans la pénombre..."
J’ouvrais un oeil. La lumière du plafonnier m’aveuglait. J'avais froid. Le hayon, ouvert, laissait pénétrer un vent glacial. J'avais une espèce de fumée devant les yeux et un mal de crâne terrible. Je tentais de me redresser de la banquette sur laquelle je gisais. En m'agrippant au fauteuil du passager avant, je voyais les feux de la voiture qui éclairaient mes trois amis. Décidément, j'étais vraiment trop mal, je me remettais au fond du fauteuil et repartais dans un brouillard profond. Je sentais un liquide chaud sortir de ma bouche et tremper le haut de ma chemise. Je crois que je vomissais.
Les deux jours qui passèrent furent difficiles. J'alternais vomissements et sommeil. Mes idées revenaient en place et je me revoyais partir en boite avec Manu, Benoît et Bertrand, mes vieux amis que je n'avais pas revus depuis plus de dix ans. Nous nous étions rencontrés par hasard, une semaine avant, un soir de concert puis nous avions convenu, le temps d'une soirée, de revivre les quatre cents coups de jadis. Qu'avions nous fait ? Je réfléchissais. Oui ! Nous avions beaucoup bu dans la boite. Et après ? Mes souvenirs disparaissaient. Cependant deux flashs revenaient : celui de la lumière du plafonnier, puis celui du réveil dans mon lit. Qui m'y avait déposé ? Qui m'avait déshabillé ? Comment s'était finie notre soirée ? Autant de questions auxquelles je ne trouvais de réponse. Je gisais encore sur mon lit lorsque le téléphone sonna. J'arrivais à décrocher. J'avais l'impression que mon cerveau cognait sur les parois de mon crâne trop étroit.
-Bah alors, ça fait plusieurs fois que j’essaie de t’avoir !
À l’autre bout du téléphone, la voix de mon père résonnait.
-Salut Papa, qu’est-ce tu veux ?
-C’est ta mère ! Elle a disparu depuis deux jours.
-Comment ça, disparu ? Tu t'es encore engueulé avec elle ?
-Oui, Mais là, je suis inquiet. Tu connais ta mère, d’habitude elle revient au bout d'une journée ! Qu'est-ce tu crois que je devrais faire ?
-Appelle les flics, j’arrive !
Je descendais dans la rue. Merde ma voiture ! Ou était-elle ? Pas le temps de chercher. Je choppai un taxi.
J’arrivais chez mes parents. Ils habitaient une vieille maison de campagne au milieu des champs. Mon père n’avait pas appelé les flics et m'expliqua que ma mère était partie à pied dans la nuit avec sa valise. Il fallait maintenant le déposer à la gendarmerie. Mon père était inquiet, tourmenté, lui qui d'habitude gérait bien ce genre de conflit.
La déposition faite, nous rentrâmes, espérant que ma mère fût revenue. Mais, hélas, non ! J'étais décidé à passer le restant de la journée dans la maison familiale. La nuit s'installa et j'en fis autant. En fin de soirée, je tentais d'appeler Manu, qui ne me répondait pas plus que Benoît et Bertrand. Mes trois acolytes étaient aux abonnés absents. La nuit passa tant bien que mal, en essayant de me souvenir de ce que j'avais bien pu faire pendant cette nuit de java.
Au petit matin, je descendais de la chambre dans laquelle j’avais survécu la nuit durant, tant elle avait été agitée et nauséeuse. Des gendarmes étaient assis dans le salon et posaient des questions à mon père. Il répondait et demandait s’ils avaient des pistes. Il manifestait la plus grande inquiétude. Les bleus me posèrent à mon tour des questions et je dus leur fournir mon alibi qu'ils vérifieraient plus tard auprès de mes trois amis. Les gendarmes partirent et nous restâmes à regarder par la fenêtre guettant le portail d'entrée, dans l'espoir de voir ma mère franchir le seuil.
-Bon, je crois qu’il n’y a plus qu’à attendre. Je dois te laisser, demain, je reprends le travail, les vacances sont terminées. Mais, tu m’appelles dès que tu as du nouveau.
Je laissai mon père et regagnai, en taxi, soucieux, mon domicile. En arrivant, je tentai à nouveau d’appeler mes trois amis. Ils ne décrochèrent pas ! Mes trois amis étaient comme moi : des célibataires endurcis. D’ailleurs, je n'avais pas d'autres
moyens pour les joindre, car je ne savais pas où ils habitaient. Je tentais de me souvenir d’éléments sur cette soirée d'amnésie, puisque je ne pouvais pas compter sur mes amis pour me rafraîchir la mémoire. Mais en vain.
Je repris mon travail au petit matin. La nuit n'avait pas été bonne, mais je retrouvais mes petites têtes blondes et brunes de l'école élémentaire où j'enseignais. C'est à la pause de dix heures que je fus surpris de voir débarquer les gendarmes dans la salle des enseignants. Je prenais un café avec mes collègues quand ceux-ci arrivèrent en me demandant de les suivre. Je dus confier ma classe à une de mes collègues, et tandis que je voulais en savoir un peu plus sur les raisons de cette convocation soudaine qui ne présageait rien de bon, les bleus gardèrent le silence. En arrivant à la gendarmerie, je fus conduit dans une petite salle. Une table, trois chaises et un miroir mural ornaient la pièce. Je fus convié à m'asseoir du côté de la table où il n'y avait qu'un seule chaise. Le gendarme m'indiqua que les enquêteurs arrivaient et me laissa seul dans la pièce. Je m'interrogeais fortement. La porte s'ouvrit à nouveau sur deux personnes de corpulence moyenne en uniforme bleu. Je me levai de ma chaise machinalement et l'un d'eux mit sa main sur mon épaule en contournant la table afin que je m'assois à nouveau.
-Bonjour, nous enquêtons sur la disparition de vos trois amis…
-Mes trois amis ? Mais c’est ma mère qui a disparu ! Rétorquai-je
-Oui ! Mais nous, c’est sur vos trois amis que nous enquêtons. Leurs parents nous ont dit que la dernière fois qu’ils les avaient vus, c'était quelques heures avant que vous partiez en soirée. Pouvez-vous nous éclairer sur cette partie du samedi soir ?
J’étais inquiet d’un coup. Je ne comprenais pas bien.
-Mais, ma mère ! Avez-vous des nouvelles de ma mère ?
-Non, Monsieur, je vous le répète, ce sont nos collègues qui enquêtent sur la disparition de votre mère. Nous, nous enquêtons sur celle de vos trois amis. Alors s’il vous plaît, racontez-nous cette nuit du samedi.
Je me mis à table, comme ils disent dans leur jargon et je leur expliquai notre virée. Du moins ce que je me rappelais.
-Ainsi, vous ne vous rappelez plus ce que vous avez fait entre le moment où vous
êtes sorti de la boite et le moment où vous vous êtes réveillé chez vous ! C’est bien ça ?
-Absolument, Monsieur l’agent !
Je sentais la panique s’emparer de moi. Le fait d’être cuisiné de la sorte m'aurait fait avouer n'importe quel crime pour lequel j'étais innocent.
-Nous allons vous placer en garde à vue à partir de maintenant pour vérifier vos dires.
Les deux gendarmes se levèrent, appelèrent un troisième qui me demanda d’enlever ma ceinture, mes lacets, mes bijoux et me conduisit dans un petit box équipé seulement d’une tablette sur laquelle je pouvais m’asseoir et attendre mon sort. Je fermais les yeux et repensais à la soirée. Il fallait me souvenir rapidement. Alors je m’entraînais à répondre aux questions des enquêteurs. Dans ma tête, je faisais ce petit exercice qui consistait à reprendre les questions précédemment posées et de répondre de façon optimale afin de me disculper. Cet exercice fait, je repensai à la lumière du plafonnier. Mais ? c’était ma voiture au fait ! C'est vrai ! Nous avions pris ma voiture pour débouler ! L'un de mes amis devait avoir conservé ma voiture puisqu'il m'avait déposé chez moi. Il lui fallait bien un moyen de locomotion après. Puis d'un coup, des abysses de ma mémoire, j'entendis des cris. Je revis la lumière du plafonnier, je ressentis le froid dans mon cou. Oui ! C'était ça ! Le hayon ! Le hayon était ouvert ! Et je distinguai des cris, des cris de haine ! Je mis ma tête entre mes mains et creusais plus encore. Qu’avais-je vu encore ? Des feux ! Oui, j'avais vu les feux de la voiture éclairer mes trois amis dans le champ. J’étais donc seul dans la voiture. Mais que faisaient-ils ?
Cela faisait bien deux bonnes heures que j’arpentais ma cellule, à la recherche de souvenirs, quand un gendarme ouvrit ma cage et me guida vers la salle d’interrogatoire. Cette fois, les deux enquêteurs étaient déjà installés à table et sur celle-ci, une pile de dossiers se dressait. Je m’assis.
-Monsieur Duvlard, je vous repose la question : Où sont vos trois amis ?
-Mais ? Je ne sais pas ! Je sais juste qu’il y en a un qui doit avoir ma voiture, car il a dû la garder après m’avoir ramené chez moi. Euh ! Je sais qu’on s’est arrêté en
revenant.
Et je leurs racontais l’histoire des cris…
-Votre voiture, c’est bien un break de marque Peugeot, type 206, de couleur grise ?
-Oui ! Absolument !
J’avais enfin l’impression que l’enquêteur prenait conscience de ma sincérité.
Il sortit plusieurs clichés d’une pochette et me les tendit.
-Est-ce votre voiture sur ces photos ?
Je pris les photos et les regardai. Effectivement, c’était bien ma voiture, les plaques de police l'indiquaient. C'étaient d'ailleurs les seules informations que l'on pouvait avoir de mon véhicule, car il avait brûlé. J'étais terrifié.
-Où sont alors vos trois amis ? aboya l’enquêteur.
Je lui répondis que je n’en savais rien. C’est à ce moment qu'il sortit un autre cliché qu'il me tendit. C'était une photo du coffre ouvert. A l'intérieur, on distinguait plusieurs corps calcinés. Je jetai la photo sur la table, horrifié et déconcerté.
-Je vous le répète ! Avez-vous tué vos trois amis ?
-Mais, Non ! jamais !
-Monsieur Duvlard, nous avons retracé votre soirée. En sortant de la boite de nuit, vous conduisiez. Plusieurs témoins vous ont vu au volant de la voiture. Pour rentrer, vous passiez à proximité de chez vos parents. C’est d'ailleurs sur cette route que vous avez percuté votre mère. Vous êtes allé chercher une pelle dans le jardin de votre père. Nous avons retrouvé l'emplacement où vous avez enterré son corps dans le champ en contre bas, les traces de pneus concordent. Ensuite, vous vous êtes disputé avec vos amis et vous les avez tués dans la forêt plus bas, puis vous avez mis le feu à la voiture et maintenant vous prétextez avoir trop bu et ne plus vous souvenir.
J’étais sonné.
-Comment ça ma mère, mes amis ?! Ma mère est morte alors ! Mais je les aurai tués comment ? sanglotai-je.
-Votre père vient d’identifier l’arme que nous avons retrouvé dans votre coffre. Il
est formel, c’est le revolver qu'il vous avait offert pour vos 18 ans. Un revolver plaqué en argent avec vos initiales dessus.
Quatre murs, une table, deux chaises. Je me souviendrais toujours de la première visite de mon père après ce jugement rapide et sans détour : PERPÉTUITÉ !
« Écoute, fiston, je vais te raconter... Ce soir là, je me suis battu avec ta mère. . Elle venait de partir quand ta voiture est passée très vite sur la route qui longe la maison. Puis j'ai entendu un crissement de pneu, un choc et plus rien. Je suis sorti de la maison et, dans la pénombre, j'ai vu quelqu'un prendre une pelle dans le jardin, un autre ramasser ta mère et la mettre dans le coffre puis repartir. Ils se sont arrêtés dans le champ en contre bas. Le temps que je sorte ton revolver du coffre fort et que j'arrive sur place, tes trois amis finissaient de tuer ta mère à tour de rôle à grands coups de pelle. Leurs rires ressemblaient à un chant de haine et toi, mon pauvre con, tu cuvais sur le siège arrière. Tu sais, ce sont tes potes qui ont creusé le trou pour ta mère puis, après, je les ai butés, chargés dans le coffre et J't'ai rapporté chez toi. Au petit matin, j' ai brûlé ta voiture et ses fils de salaud dans la forêt. »
Il y eut un bruit sec, celui d’un coup de poing sur la table. Les yeux injectés de sang, il se leva.
-Adieu mon fils !
Puis il y eut un cri. Suivi d'un autre, et encore d'un autre…. Comme un chant de haine. Mais c'était dans mon coeur.

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